Le yoga entre le don et l’appropriation
By Jean-François Méthot
La Fédération étudiante de l’Université d’Ottawa et son Centre pour étudiants ayant un handicap (CÉH) ont fait les manchettes cette semaine après l’annulation d’un cours de yoga gratuit pour cause d’appropriation culturelle. Les réactions des Internautes ont été vives et partagées, allant de l’hilarité à l’indignation et à la solidarité.
Il ne faut pas ridiculiser ces débats, même si, pour un instant, je croyais que la nouvelle venait d’un site satirique. Les jeunes d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, font à l’Université une expérience du débat social, de la vie politique, dans un contexte de tolérance et de liberté. Tant mieux si l’on réussit encore à préserver ces conditions de la vie universitaire.
Je me demande cependant si le concept d’appropriation culturelle n’est pas trop réducteur pour capturer la complexité des formes de transferts culturels. On comprend l’idée : l’appropriation culturelle consiste dans la récupération et l’usage non-consentis de pratiques ou de symboles, par une culture dominante aux dépends d’une culture opprimée ou dominée. Ce débat dépasse bien l’Université, comme le montre la controverse au sujet du nom des « Redskins » de Washington.
Bien sûr, il existe une exploitation éhontée des symboles et pratiques culturels, incluant une industrie florissante du yoga qui ne profite en rien à ceux qui nous l’ont fait découvrir et qui le pratiquent comme un art et non comme un passe-temps. On a certes raison de critiquer cela, du moins, si l’on réussit à s’en apercevoir. Jeunes, nous écoutions le rock de Cream, des Stones et de Led Zeppelin, croyant y trouver une toute nouvelle musique. Nous ne savions combien elle devait aux musiciens de Blues des années 1930, essayant par leur musique, comme Robert Johnson ou McKinley Morganfield, d’échapper aux fermes et aux plantations du Sud.
L’appropriation culturelle, cependant peut tenir du don ou du partage. Jeune étudiant en philosophie, je me souviens encore de notre professeur Roch Bouchard qui nous avait fait découvrir la pensée du grand philosophe Indien Jiddu Krishnamuerti. Pourquoi Krishnamuerti est-il un grand philosophe? Il a produit une synthèse de la philosophie indienne qu’il a voulu et pu communiquer au monde philosophique occidental, parce qu’il avait trouvé une universalité dans la sagesse de sa culture, et il voulait la partager. Le yoga, pour lui, faisait partie de cette élévation de la conscience.
Krishnamuerti ne se souciait pas d’appropriation culturelle. Bien au contraire, c’est par générosité intellectuelle, vertu philosophique, me semble-t-il, qu’il a voulu partager sa pensée, comme d’ailleurs ses héritiers qui poursuivent l’étude et la dissémination de son œuvre. Il voulait la faire partager, car il voyait ce qu’elle pouvait offrir à l’humanité, et pas seulement aux Indiens.
Il y a ainsi des cadeaux faits à l’humanité par les peuples opprimés : le blues, le rap, le tango, le reggae, le folklore québécois et franco-canadien, la cuisine traditionnelle des peuples, l’art, l’habillement, la médecine naturelle. Le christianisme lui-même ne relève-t-il pas, du moins en partie, de l’appropriation culturelle gréco-latine d’un mouvement religieux juif au temps de l’Empire Romain? Nous discutons volontiers entre collègues de philosophie et de théologie de cette grande aventure dans l’histoire de la pensée.
L’appropriation est un signe de l’universalité; et la philosophie, qui tend vers la sagesse, en fait partie. Nous ne pourrions vivre en philosophie sans appropriation culturelle. C’est au plan de l’humanité qu’il faut penser, et non au plan de nos productions culturelles, ce qui favorise le dogmatisme et l’impérialisme culturel. Soyons toujours à l’écoute de toutes les sagesses, méditons-les, chérissons-les. Appropriation, peut-être. Mais avant rencontre, compréhension, partage et don.
*Photo courtoisie de Wikimedia Commons